Fiche n°1

Le concept de bioéconomie de Geogescu-Roegen

Aurèle TRANCHANT – Emilie TRANCHANT  – Date de publication : 23 janvier 2025 – MAJ : 23 mars 2025

 

Comprendre le concept en 1’ chrono

La bioéconomie est un concept développé par l’économiste et mathématicien roumain (émigré aux Etats-Unis) Nicholas Georgescu-Roegen dans son livre The Entropy Law and the Economic Process (1971). L’auteur y développe la thèse selon laquelle la croissance perpétuelle n’est ni possible ni supportable car le développement économique s’oppose aux lois biophysiques de notre planète.

Nicholas Georgescu-Roegen s’oppose aux perceptions conventionnelles de la croissance qui voudraient que la croissance soit potentiellement sans limite. Pour lui, l’économie est un processus issu de la nature qui en porte intrinsèquement les mêmes caractéristiques. Elle est notamment soumise aux lois de la thermodynamique et, à ce titre, ne pourra pas outrepasser les limites de la physique. La logique de la croissance économique est limitée par la seconde loi de la thermodynamique, dite « loi de l’entropie », qui stipule que « toute transformation d’énergie engendre une dégradation irréversible de ladite énergie et la rend inapplicable à une utilisation future ».  En d’autres termes : toute activité économique requiert par nature de l’énergie et des ressources naturelles, et par nature cette énergie et ces ressources naturelles ne pourront pas être entièrement recyclées.

L’économie doit donc repenser la voie de croissance en question tout en considérant les aspects environnementaux de la bioéconomie et en repensant ses modèles de production et de consommation. 

Pour Nicholas Georgescu-Roegen « en ignorant l’entropie, l’économie moderne se condamne à détruire le capital naturel dont elle dépend pour survivre ».

Faire le point sur le champ conceptuel connexe

Thermodynamique :  branche de la physique qui étudie les relations entre la chaleur, l’énergie, et le travail. La thermodynamique s’intéresse à la manière dont l’énergie est transformée et transférée entre différents systèmes, ainsi qu’aux lois fondamentales qui régissent ces processus.

Entropie : mesure de l’ordre ou du désordre d’un système. Selon la deuxième loi de la thermodynamique, l’entropie d’un système isolé tend à augmenter avec le temps, ce qui signifie que les systèmes naturels évoluent vers un état de désordre maximal.

Cornucopien : le terme « cornucopien » provient du mot « cornucopia » (corne d’abondance), un symbole mythologique représentant une source inépuisable de nourriture et de richesse. Il fait référence à un groupe de pensée ou à une attitude qui croit fermement en la capacité des avancées technologiques et de l’ingéniosité humaine à surmonter les limitations physiques et environnementales, comme la rareté des ressources.

Connaître l’historique du concept

Georgescu-Roegen a évoqué pour la première fois ce concept dans les années 1970, mais il y travaillait depuis bien plus longtemps. Il a été influencé par les travaux de deux chercheurs :

Rudolf Clausius, qui a développé la seconde loi de la thermodynamique,

– et Alfred Lotka, qui a tenté d’appliquer lesdits principes aux sciences biologiques.

 Il a intégré les études de ces chercheurs dans sa critique du modèle économique conventionnel qui est basé sur l’innovation et la substitution. Dans The Entropy Law and the Economic Process, il démontre que ce point de vue est non seulement naïf, mais également extrêmement dangereux. La question qu’il pose est claire : comment une croissance économique illimitée se concilie-t-elle avec les limitations biophysiques de la planète ?

Se situer dans le débat

Qui sont les partisans aux thèses de Georgescu-Roegen ?

Les idées de Nicholas Georgescu-Roegen ont influencé plusieurs penseurs et mouvements.

– Herman Daly, un économiste connu pour avoir développé et promu l’économie écologique. Il est l’un des principaux défenseurs de l’idée d’une « économie stationnaire », qui cherche à stabiliser la population et la consommation des ressources naturelles à des niveaux durables.

– Serge Latouche, un économiste et sociologue français. Il est l’un des principaux théoriciens du mouvement de la décroissance. Il plaide pour une réduction volontaire de la production économique afin de préserver l’environnement et améliorer la qualité de vie.

– Tim Jackson, l’auteur du livre Prosperity Without Growth. Il soutient que la poursuite de la croissance économique n’est plus compatible avec la durabilité écologique. Bien que ses idées soient plus modérées que celles de Georgescu-Roegen, elles s’inspirent néanmoins de l’idée que les limites planétaires doivent être respectées.

– Joan Martínez-Alier, un économiste écologiste espagnol. Il est promoteur des idées de Georgescu-Roegen dans le contexte de la justice environnementale et de l’économie écologique. Il a contribué à diffuser les concepts de bioéconomie et d’entropie dans le débat académique.

– Le mouvement de la décroissance, mouvement social et politique, qui s’inspire largement des travaux de Georgescu-Roegen. Les partisans de la décroissance plaident pour une réduction contrôlée et équitable de la production et de la consommation afin de respecter les limites écologiques de la planète.

– Jean Gadrey, économiste français, qui a également adopté et promu les idées de décroissance et de soutenabilité, inspirées par les travaux de Georgescu-Roegen.

Qui sont les opposants aux thèses de Georgescu-Roegen ?

Nicholas Georgescu-Roegen a souvent été en opposition avec des penseurs et économistes classiques qui croyaient en la possibilité d’une croissance économique infinie et d’une exploitation continue des ressources naturelles. Ces derniers considéraient ses thèses comme trop pessimistes ou irréalistes dans un monde où la technologie et l’innovation sont vues comme des solutions aux problèmes environnementaux

Voici quelques groupes de penseurs ou courants qui ont souvent divergé de ses idées :

– Les économistes néoclassiques. Ils croient généralement en l’efficacité des marchés et en la possibilité de substituer les ressources naturelles par d’autres technologies ou innovations. Ils estiment souvent que la croissance économique peut continuer indéfiniment grâce à la technologie et à l’innovation.

– Les technocrates et cornucopiens qui sont convaincus que les avancées technologiques permettront de surmonter les limitations imposées par la nature, y compris les limites des ressources naturelles. Ils croient en la capacité humaine à résoudre les problèmes environnementaux par l’innovation.

– L’économiste Julian Simon, souvent cité comme opposé aux thèses de Georgescu-Roegen. Simon était optimiste sur les ressources et un défenseur de l’idée selon laquelle l’ingéniosité humaine permettrait de surmonter toute pénurie de ressources. Il est connu pour son pari avec Paul Ehrlich, dans lequel il affirmait que les ressources naturelles deviendraient moins chères avec le temps.

– Milton Friedman et les économistes libéraux ont également souvent promu des politiques de croissance économique sans beaucoup d’égard pour les limites environnementales. Ils se sont concentrés sur la croissance du PIB comme un objectif majeur, souvent en contradiction avec les idées de durabilité mises en avant par Georgescu-Roegen.

Percevoir l’actualité et l’usage du concept

Le concept de bioéconomie est plus que jamais d’actualité étant donné les défis environnementaux sans précédent auxquels le monde est confronté. Avec les crises climatiques et environnementales de plus en plus aiguës, les décideurs et les économistes commencent à envisager des modèles alternatifs qui reconnaissent les limites des ressources naturelles. Les notions de durabilité, d’économie circulaire et de décroissance ont toutes une base théorique dans la bioéconomie.

Des politiques publiques, notamment en Europe, ont commencé (doucement) à mettre en œuvre ces idées en encourageant la réduction de ressources non renouvelables et de production naturelle. Un exemple éclairant de l’application pratique des idées de Georgescu-Roegen est la politique de l’État allemand sur la transition énergétique, l’Energiewende, visant à passer d’une dépendance aux énergies fossiles et nucléaires à un système énergétique basé principalement sur les sources d’énergie renouvelables, comme l’éolien et le solaire. Ce programme a été lancé dans les années 2000 et s’est intensifié après la décision de l’Allemagne de sortir du nucléaire à la suite de la catastrophe de Fukushima en 2011. Ses deux mesures phares sont la sortie du nucléaire en 2022 et une électricité 100 % renouvelable en 2050.

Approfondir : les références utiles

Timothée Parrique, Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance, 2022 (thèse de doctorat)

Lucas Bogaert-Rossi,   La bioéconomie comme nouveau paradigme productif pour la France : politiques publiques pour la dynamisation de l’usage du bois, bioressource essentielle pour la décarbonation de l’économie et notamment du secteur du bâtiment, 2021, Audencia.

Jean-Marc Jancovici, Christophe Blain, Le Monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique 2021

Ouvrage collectif de chercheurs du Massachusetts Institute of Technology (MIT) dirigée par Donella Meadows, Dennis Meadows, Jørgen Randers et William W. Behrens III, The Limits to Growth (appelé également rapport Meadows), 1972

Nicholas Georgescu-Roegen , The Entropy Law and the Economic Process, 1971

Kenneth Boulding , The Economics of the Coming Spaceship Earth » 1966, à qui l’on doit la célèbre citation : « Celui qui croit en la croissance infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »

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