Fiche n°4
Le concept de l’économie comportementale sous le prisme de Keynes

 

Aurèle TRANCHANT – Emilie TRANCHANT  – Date de publication : 23 janvier 2025 – MAJ : 26 mars 2025

Comprendre le concept en 1’ chrono

L’économie comportementale de Keynes repose sur l’idée que les décisions économiques ne sont pas uniquement dictées par la rationalité, mais sont également influencées par des instincts, des émotions et des comportements sociaux. Keynes, bien que ne faisant pas directement partie de l’école de l’économie comportementale, a posé les bases de cette approche avec son concept des esprits animaux (animal spirits), illustrant la manière dont la psychologie collective peut affecter les marchés et la macroéconomie.

Contrairement aux modèles classiques de l’homo economicus, où les agents économiques prennent des décisions rationnelles basées sur des calculs optimisés, Keynes souligne que les anticipations des investisseurs et consommateurs sont façonnées par des phénomènes irrationnels. En période de prospérité, une confiance excessive peut alimenter des bulles spéculatives, tandis qu’en période de crise, une méfiance généralisée peut accentuer la récession, même si les fondamentaux économiques ne justifient pas un tel effondrement.

L’impact de ces comportements sur les marchés financiers est considérable. Keynes décrit un système où la volatilité est en grande partie due à des réactions en chaîne provoquées par la peur ou l’euphorie des investisseurs. Cette intuition se retrouve aujourd’hui dans les études de l’économie comportementale contemporaine, qui démontre que les biais cognitifs, comme le biais d’ancrage ou le comportement de troupeau, influencent directement la dynamique des marchés.

Comme il l’affirme dans La théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936) : « Il vaut mieux avoir tort avec la foule que raison contre elle ». Cette observation illustre parfaitement la manière dont la pression sociale et la peur de l’isolement peuvent conduire à des décisions économiques irrationnelles.

Loin d’être une simple théorie, cette approche a des implications concrètes dans le domaine de la finance, des politiques publiques et des stratégies économiques. Aujourd’hui, les régulateurs et économistes utilisent ces principes pour mieux comprendre et prévenir les crises financières, concevoir des politiques incitatives et affiner les modèles de prise de décision économique.

 

Faire le point sur le champ conceptuel connexe

Le biais d’ancrage : se produit lorsqu’une personne accorde une importance excessive à une information initiale lors de sa prise de décision. Ce phénomène psychologique est particulièrement visible dans le domaine des prix et de la finance. Un exemple : si une action cotée en bourse chute soudainement après une période de hausse, les investisseurs ont tendance à rester influencés par son prix initial élevé et à mal évaluer sa valeur réelle.

 Le comportement de troupeau (herd behavior) : les individus imitent les actions des autres en raison d’un manque d’information ou d’un effet de groupe. Cet instinct grégaire est fréquent sur les marchés financiers, où les investisseurs adoptent souvent les mêmes stratégies d’achat ou de vente, créant ainsi des bulles spéculatives ou des krachs boursiers.

Connaître l’historique du concept

Bien que Keynes ne soit pas considéré comme le fondateur de l’économie comportementale, ses travaux en constituent une préfiguration. Dans les années 1930, il observe que les investisseurs, loin d’agir de manière strictement rationnelle, sont influencés par des attentes collectives et des mouvements de panique. Le concept d’esprits animaux introduit par Keynes désigne ces tendances irrationnelles qui influencent l’économie. Il explique notamment pourquoi les crises financières se forment : lorsque les investisseurs sont confiants, ils prennent davantage de risques, ce qui alimente la spéculation. À l’inverse, en période de doute, la méfiance collective entraîne une récession par manque d’investissements.

L’économie comportementale en tant que discipline distincte émerge dans les années 1970 grâce aux travaux de Daniel Kahneman et Amos Tversky. Ces psychologues démontrent que les décisions économiques sont souvent influencées par des biais cognitifs et des erreurs de jugement, plutôt que par une analyse rationnelle des faits. Leur théorie des perspectives montre que les individus perçoivent les pertes comme plus douloureuses que les gains d’un même montant, ce qui influence leur comportement face au risque.

Se situer dans le débat

Les partisans de l’approche keynésienne et comportementale

Les économistes keynésiens modernes, comme George Akerlof et Robert Shiller, ont prolongé l’intuition de Keynes en intégrant les esprits animaux dans l’analyse des crises économiques. Dans leur ouvrage Animal Spirits (2009), ils démontrent que les fluctuations économiques sont souvent dues à des variations de la confiance et de la psychologie collective plutôt qu’à des changements objectifs des fondamentaux économiques. L’économie comportementale, quant à elle, est soutenue par des figures comme Richard Thaler, lauréat du prix Nobel d’économie en 2017, qui a étudié comment des incitations subtiles (nudges) peuvent influencer les décisions économiques des individus sans restreindre leur liberté de choix.

 Les critiques et opposants

Les économistes néoclassiques et libéraux, tels que Milton Friedman et Eugene Fama, s’opposent à cette approche en affirmant que les marchés sont intrinsèquement efficaces et que toute irrégularité est rapidement corrigée par le jeu de l’offre et de la demande. Ils soutiennent que les comportements apparemment irrationnels des agents économiques sont en réalité le reflet d’une adaptation optimale à l’information disponible.

Percevoir l’actualité et l’usage du concept

Les idées keynésiennes sur l’irrationalité des marchés sont régulièrement confirmées par l’observation des crises financières. L’explosion de la bulle des cryptomonnaies en 2017-2018 est un exemple frappant : alors que le Bitcoin atteignait des sommets historiques, des milliers d’investisseurs ont afflué par peur de manquer l’opportunité (Fear of Missing Out). Lorsque la bulle a éclaté, beaucoup ont perdu leurs investissements, illustrant parfaitement le comportement de troupeau décrit par Keynes.

L’économie comportementale est aujourd’hui utilisée dans les politiques publiques pour inciter les citoyens à adopter des comportements bénéfiques, que ce soit en matière d’épargne, de consommation énergétique ou de fiscalité. Par exemple, plusieurs gouvernements utilisent des incitations comportementales (nudging) pour encourager les particuliers à cotiser davantage pour leur retraite ou à réduire leur empreinte carbone.

Nous aurions pu citer également le système d’adhésion automatique aux plans de retraite mis en place au Royaume-Uni avec le programme Auto-Enrolment Pensions. Introduit en 2012, ce dispositif oblige les employeurs à inscrire automatiquement leurs employés dans un plan de retraite privé, avec la possibilité de se retirer s’ils le souhaitent (opt-out). Ce mécanisme repose sur un biais cognitif bien connu : l’inertie. Plutôt que d’attendre que les individus fassent l’effort d’adhérer eux-mêmes à un plan de retraite (ce qui entraîne un faible taux d’inscription), le système les place par défaut dans un programme d’épargne. Les résultats ont été spectaculaires : avant la réforme, le taux d’adhésion aux plans de retraite était d’environ 55 %, tandis qu’il dépasse aujourd’hui les 90 % dans certaines tranches d’âge. Dans le domaine de la réduction de l’empreinte carbone, plusieurs pays ont mis en place des péages urbains intelligents basés sur des incitations comportementales. En augmentant progressivement le coût d’entrée dans certaines zones très embouteillées aux heures de pointe (pricing dynamique), ces politiques modifient les habitudes des conducteurs, qui adoptent alors des solutions alternatives comme le covoiturage ou les transports en commun.

Les infos pratiques de [La boîte]

Copyright @2025 La Boîte à mots

Et vous, quel sera votre choix ?

Option 1 : une stratégie sans action
> un rêve

Option 2 : une action sans stratégie
> un cauchemar

Option 3 : nous appeler